La méthode scientifique
Une théorie en science représente le plus haut niveau de savoir connu et validé à un moment donné. Ce même terme utilisé dans le langage courant a une connotation péjorative. On désigne en effet par théorie une supposition qui n’a pas encore passé l’épreuve de la pratique, voire carrément une invention pure et simple sans aucun fondement, comme quand on parle de théorie du complot.
Cependant une connaissance scientifique n’est pas une vérité figée ; au contraire elle est toujours réfutable. Cela découle de la méthode utilisée en science qui procède par hypothèse et test d’hypothèse à travers les observations et expérimentations. Désignons par $T$ une théorie scientifique. A travers une expérimentation on observe une donnée $D$. La démarche scientifique est alors la suivante :
- Supposons la théorie $T$ fausse (notation : $\overline{T}$).
- Quelle est la probabilité d’observer $D$ si $T$ était fausse ?
- Cette probabilité conditionnelle se note : $p = \mathrm{P}(D | \overline{T})$.
- Si $p$ est faible, alors on ne peut pas rejeter la théorie $T$.
La valeur $p$ exigée pour ne pas rejeter une théorie $T$ est de 5% au maximum dans les sciences sociales. Elle est beaucoup plus faible dans les sciences naturelles. Le CERN a annoncé la détection de la particule physique appelée le boson de Higgs en 2012. L’expérimentation menée par le CERN produisait une valeur $p$ inférieure à 0,00006%. Cela signifie que si le boson de Higgs n’existait pas, il n’y aurait qu’une chance sur plus de 1,6 millions d’observer la donnée expérimentale. L’inexistence du boson de Higgs mènerait à une observation extrêmement improbable. Cela mène à conclure à l’existence du boson de Higgs… jusqu’à la preuve du contraire.
La science ne souscrit à une loi ou une théorie qu’à l’essai, ce qui signifie que toutes les lois et les théories sont des conjectures ou des hypothèses provisoires. […] Une théorie qui n’est réfutable par aucun événement qui se puisse concevoir est dépourvue de caractère scientifique. – Karl Popper
Karl Popper définit la réfutabilité comme un critère essentiel de la scientificité d’une théorie. $T$ n’est pas une théorie scientifique s’il n’est pas possible de procéder à une expérimentation résultant l’observation d’une donnée $D$ qui peut potentiellement contredire $T$. La psychanalyse ou la religion ne sont ainsi pas des disciplines scientifiques dans la mesure où la méthode scientifique ne peut pas s’appliquer.
La science est toujours questionnable – elle est moins l’expression d’une vérité que de l’efficacité. Pour aller sur la Lune, la théorie de gravitation de Newton suffit. Mais la relativité générale d’Einstein est une théorie de la gravitation plus performante, plus précise. Elle propose aussi une vision différente de la réalité : la gravitation est vue comme une courbure de l’espace-temps provoquée par une masse, et non pas comme une force qui agirait par magie à distance. La science interprète la réalité par des modèles. Sur le plan épistémologique, il n’est pas possible de juger si la théorie de Newton ou celle d’Einstein est plus vraie dans l’absolu. L’une est préférable à l’autre uniquement sur le critère de la performance pratique.
La relativité générale est née d’une expérience de pensée. C’était pour Einstein l’idée la plus heureuse de sa vie.
Il imagine une personne dans un ascenseur dans l’espace, sans gravité. Si cet ascenseur accélère vers le haut (par rapport à la personne dans l’ascenseur), cette dernière sera plaquée sur le plancher. Si cet ascenseur était soumis à une gravité de même intensité que l’accélération, la personne sera plaquée sur le plancher de la même manière que précédemment. Et à l’intérieur de l’ascenseur, il n’y a aucune façon de différencier ces deux expériences.
Un référentiel soumis à un champ gravitationnel est équivalent à un référentiel non soumis à un champ gravitationnel mais qui est en mouvement accéléré avec une accélération de même intensité que la gravitation. C’est le principe d’équivalence.
Il imagine ensuite un rayon lumineux qui va d’une paroi de l’ascenseur à l’autre. Si cet ascenseur est en accélération vers le haut, le rayon lumineux qui atteint la paroi opposée se retrouve plus bas que le niveau de la source du rayon. Le rayon décrit une forme courbe. Einstein déduit que la gravité doit aussi courber un rayon lumineux. De cette expérience de pensée est née la relativité générale : la gravité est une courbure de l’espace-temps provoquée par une masse.
L’espace-temps (le contenant) et la masse (le contenu) se définissent mutuellement et sont interdépendants. Il n’y a pas un espace ou un temps indépendant de tout contenu, de tout événement.
Einstein devait ensuite décrire la courbure de l’espace-temps en fonction de la masse avec un modèle mathématique adéquat (géométrie différentielle). Une fois le modèle posé, il est mis à l’épreuve à travers une série d’expérimentations et de prédictions.
La relativité générale jusqu’à aujourd’hui n’a jamais été mise en défaut. Mais elle est fondamentalement incompatible avec le modèle standard qui décrit le monde de l’infiniment petit, celui de la physique quantique. Le modèle standard n’est lui aussi jamais mis en défaut. Nous avons deux théories formidables d’efficacité mais décrivant deux visions de la réalité (macroscopique et microscopique) qui sont incompatibles entre elles. La science physique est ainsi à la recherche d’un modèle plus fondamental, plus complet, plus unifié.
En conclusion, la force de la science réside dans sa méthode : une méthode rigoureuse, objective – mais aussi créative – et toujours ouverte à la remise en question. Critiquer la science sans méthode est tout aussi erroné que de croire que la science est une vérité absolue, indiscutable. La science est un périmètre limité mais puissant du savoir humain. Elle n’est pas en compétition avec les disciplines non scientifiques comme la philosophie ou la spiritualité. Quand une hypothèse issue d’une discipline non scientifique est contredite par la science, il est raisonnable de croire en la science. Mais les disciplines non scientifiques sont souvent juste hors de la portée de la méthode scientifique. L’esprit humain est doté d’une puissance symbolique beaucoup plus grande que la seule expression de la connaissance scientifique.