Le pragmatisme
Le pragmatisme est un ouvrage de synthèse écrit par le psychologue et philosophe américain William James en 1907.
Rien de plus différent de prime abord entre le pragmatisme mot du langage courant et le pragmatisme en philosophie. Le pragmatisme désigne couramment l’attitude d’une personne qui vise l’efficacité sans se soucier de l’éventuelle théorie qui sous-tende cette efficacité apparente. En philosophie, le pragmatisme est un courant de pensée qui questionne à la fois ce que les mots signifient (théorie de la signification) et ce que la vérité veut dire (théorie de la vérité). Le pragmatisme philosophique a donc un lien direct avec l’épistémologie, c’est-à-dire l’étude critique de la connaissance.
Une théorie de la signification
Le pragmatisme se présente tout d’abord comme une théorie de la signification. Il s’appuie en cela sur le principe du pragmatisme de Charles Sanders Peirce, logicien philosophe et ami de James. Peirce écrit en 1878 un article intitulé “Comment rendre nos idées claires”.
Considérer quels sont les effets pratiques que nous pensons pouvoir être produits par l’objet de notre conception. La conception de tous ces effets est la conception complète de l’objet. (Peirce)
On ne s’intéresse pas encore à la véracité d’une idée ou d’un concept, mais simplement à sa signification. Et la signification n’est pas une propriété interne aux concepts, elle se définit par les effets pratiques et vérifiables empiriquement. Tel est le principe du pragmatisme.
Si on dit que le diamant est le matériau le plus dur qui existe, cela signifie qu’un autre matériau (le fer par exemple) ne peut le rayer. Et c’est en effet vérifiable. Il n’y a pas de signification résiduelle au concept de dureté au delà de toutes les vérifications concevables. Un concept qui n’a aucune conséquence pratique n’est ni vrai ni faux, mais simplement dénué de sens. Les conséquences pratiques permettent de distinguer les concepts.
La théorie de la signification ainsi posée par le pragmatisme a bien une utilité pratique – le pragmatisme rejoint alors son sens courant. Elle permet d’éviter les débats philosophiques et métaphysiques sans fin, utilisant des termes invérifiables. Par exemple que Dieu ou les dieux existent ou pas est du domaine de la foi personnelle et ne peut être débattu. Car le terme de “dieu” lui-même a différent sens pour chacun et il est invérifiable collectivement.
Il est aussi de la plus haute importante pour une bonne compréhension entre les hommes que de s’assurer que chacun définit les mêmes mots de la même manière. Et pourquoi pas appliquer le principe du pragmatisme en cherchant à définir les conséquences pratiques des mots avant de se lancer dans tout débat ou dialogue sérieux ?
Une théorie de la vérité
Un concept a donc du sens s’il a des conséquences pratiques vérifiables. Un concept est vrai si les conséquences pratiques sont vérifiées. De même que la signification n’est pas une propriété interne aux concepts, la vérité non plus n’est pas une propriété interne aux concepts. La vérité veut dire vérification pour le pragmatisme.
Tout semble simple jusqu’ici. Mais là où cela devient intéressant est que James développe une approche humaniste de la vérité et pas uniquement une vérité basée sur une prétendue objectivité froide des faits.
Le pragmatisme selon James n’est pas incompatible avec la métaphysique. Une idée est aussi considérée comme vraie si elle est bonne pour celui qui la conçoit, si elle lui apporte une utilité. L’idée de Dieu peut apporter du réconfort ou de la force à celui qui la conçoit. Même si cette idée n’est pas vérifiable au sens de la signification, ses conséquences pratiques positives peuvent être vérifiées pour celui qui la conçoit. La vérité pour James est ainsi relativiste et humaniste.
Est-ce qu’un mensonge est aussi une vérité si elle fait du bien à la personne qui la conçoit ? La réponse est non. Les pragmatistes et rationalistes partagent la même définition de la vérité : la vérité est une idée en accord avec la réalité. Ils diffèrent en revanche sur la conception même de la réalité. C’est là pour moi le développement le plus intéressant du livre de William James.
Un mensonge n’est pas une vérité, car tout d’abord la réalité a une résistance. Elle ne peut être déformée à volonté. Un fait n’est ni vrai, ni faux, il est simplement, il s’impose à nous. Ce qui est vrai ou faux est l’idée que nous avons de lui et nos théories sur son origine ou sa nature. Un mensonge ne peut être considéré comme une vérité s’il contredit un fait.
Cependant, la réalité pour James n’est pas que résistance, elle a aussi une certaine plasticité. La réalité nue est un cas limite ; dès qu’elle se manifeste, elle est colorée par l’esprit humain qui lui donne une orientation, un point de vue. Un parallèle interessant peut être fait avec la physique quantique où l’observateur a un effet sur l’observation. La réalité n’est pas vue comme une chose pré-existante attendant d’être découverte (point de vue des rationalistes). Notre esprit engendre la réalité ou du moins lui apporte des ajouts à partir d’une base commune. C’est dans ce sens que la réalité – même si elle a une résistance – reste malléable, plastique. Les hommes créent leur futur par la combinaison et l’interaction de leurs volontés et de leurs perspectives.
Les rationalistes adoptent une vision moniste de la réalité. Cette vision est parfaitement exprimée dans cette citation de Héraclite :
Il y a pour les éveillés un monde unique et commun, mais chacun des endormis se détourne dans un monde particulier.
Pour les rationalistes, la réalité est en plusieurs éditions, mais une seule est la vraie, authentique et complète.
Pour les pragmatistes, le monde est en une seule édition, inachevée, toujours dans un processus d’extension de toute part, par les pensées et actes des acteurs à l’oeuvre. C’est une vision qui me semble proche de celle du bouddhisme qui renie la présence d’une substance derrière les manifestations (attributs) de la réalité. Edward Conze, universitaire britannique, décrit le bouddhisme en tant que philosophie comme un pragmatisme dialectique avec une tendance psychologique. (Edward Conze, Le Bouddhisme, Payot, 2002)
La vision pragmatiste de la réalité rend possible le méliorisme et un certain optimisme : le monde peut aller vers le mieux si les volontés convergent en ce sens.